Notre dernier conte de Noël…
…et les sages de l’orient apportèrent l’or, l’encens et la myrrhe pure. Ainsi, en Danemark, chantent les fidèles, à Noël, sous les voûtes de l’église, et si c’est dans une vieille église que s’élève le chant, on peut voir parfois sur un mur une antique fresque qui représente l’enfant Jésus tenu par sa mère et, devant eux, les trois mages a genoux. Le premier est Gaspar ; il porte son offrande, l’or, un calice. Peut-être un ange s’en servira-t-il sur le Golgotha pour recueillir le sang qui coulera des mains crucifiées. Derrière lui est agenouille Melchior. Son nom rappelle Melchisedech, le prêtre de l’ancienne alliance, le roi-prêtre de Salem, à qui Abraham rendit visite ; Melchisedech, revêtu de ses vêtements ecclésiastiques, monta a l’autel et offrit le saint sacrifice du pain et du vin, que mangea et but le patriarche, par un matin humide de rosée sous les palmiers que le vent agitait. Melchior, dans ses vêtements sacerdotaux, est agenouillé et balance l’encensoir devant l’Enfant-Jésus; ainsi fait le prêtre devant la monstrance sur l’autel. Mais derrière eux, il y a le maure, le noir Balthazar. Quel soleil t’a rendu si noir, Balthazar, aux cheveux crépus et aux lèvres épaisses ? Viens-tu de l’Inde, du royaume du prêtre Jean où chaque matin l’oiseau rock pond l’oeuf-soleil couleur rouge feu sur la rive de l’océan pacifique? Ou es-tu venu de Saba, comme le fit autrefois ta reine, pour voir celui qui est plus que Salomon ? As-tu traversé les déserts de l’Arabie? As-tu recueilli la myrrhe que tu apportes au pied du Sinaï Pétré, et as-tu pensé alors au jour ou, il y a des siècles de cela, toute la montagne avait fumé et tremblé parce que Jéhovah était descendu sur son sommet et avait parlé a Moïse face à face ? As-tu cueilli la cette myrrhe que Marie conservera sur son cœur jusqu’à l’heure ou elle tendra à son fils, suspendu en croix, pour étancher sa soif, l’eau à laquelle elle l’aura mêlée? Gaspar, Melchior, Balthazar, maintes fois représentés depuis la pauvre fresque de Fjenneslev jusqu’au rayonnant tableau de Gentile da Fabriano de Florence, vos reliques reposent dans la chasse ornée de pierres précieuses de la cathédrale de Cologne, et tous les matins, après la grand-messe, les gros chanoines du chapitre métropolitain vont, en psalmodiant, les vénérer à genoux. Mais une vieille légende raconte que, lorsque vous viviez sur la terre, et que vous fîtes votre pèlerinage à Bethleem, arrivés dans l’étable, vous avez déposé vos trésors devant l’enfant et sa mère, mais que l’enfant ne voulut pas sourire. Marie était honorée par l’encens, qui brûlait comme elle l’avait vu brûler dans le temple de Jérusalem où elle avait passé sa jeunesse, et, les yeux pleins de larmes, elle cacha la myrrhe dans son sein. Mais l’enfant ne tendit pas ses petites mains vers l’or éclatant ; la fumée fit tousser ses petits poumons. Il se détourna de la myrrhe et embrassa les larmes dans les yeux de sa mère. Les trois saints rois se relevèrent et prirent congé, avec le sentiment de gens qui n’ont pas été appréciés selon leur mérite. Mais quand la tête et le cou de leurs dromadaires eurent disparu derrière les montagnes, quand le dernier tintement de leurs harnais eut expiré sur la route de Jérusalem, alors parut le quatrième roi. Sa patrie était le Pays que baigne le golfe persique ; il en avait apporté trois perles précieuses. Il devait les donner au roi qui était né à l’Occident, et dont lui aussi avait vu l’étoile un soir dans la roseraie de Shiraz. Il s’était levé et avait tout abandonné. En vain son sommelier lui versait-il le vin ardent, en vain sanglotait le rossignol à l’ombre des rosiers, en vain le jet d’eau pleurait de douces larmes, en vain la Sulejka aux yeux noirs l’enlaçait sur les coussins du divan. Le roi de Perse prit son trésor le plus rare, ses trois perles blanches qui étaient aussi grosses que des œufs de pigeon ; il les mit dans sa ceinture et résolut de chercher le lieu au-dessus duquel brillait l’étoile. Il le découvrit… Mais il arriva trop tard. Les trois autres rois étaient venus, et ils étaient partis. Il arrivait trop tard… Et les mains vides… Il n’avait plus de perles. Il ouvrit lentement les portes de l’étable sainte ou se trouvaient le fils de Dieu, la mère de Dieu et le père nourricier de Dieu. Le jour tombait, l’étable devenait sombre ; une légère odeur d’encens flottait encore comme dans une église après les vêpres. Saint Joseph retournait la paille de la crèche pour la nuit, l’Enfant-Jésus était sur les genoux de sa mère. Elle le berçait doucement et, à mi-voix, chantait une des ces berceuses qu’on entend le soir quand on se promène dans les rues de Bethleem. Lentement, en hésitant, le roi de Perse s’avança puis il se jeta aux pieds de l’enfant et de sa mère. Lentement, en hésitant, il commença a parler. – Seigneur, dit-il, je viens à part des autres saints rois qui t’ont tous rendu hommage et dont tu as reçu les dons. J’avais aussi une offrande pour toi, trois perles précieuses, grosses comme un œuf de pigeon, trois vraies perles de la mer persique. Je ne les ai plus. Je suis venu à part des trois autres rois. Ils marchaient devant moi sur leurs dromadaires ; je suis resté en arrière dans une hôtellerie sur le bord du chemin. J’eus tort. Le vin me tentait, un rossignol chantait et me rappela Shiraz… Je décidai d’y passer la nuit. Quand j’entrai dans la salle des voyageurs, j’aperçus un vieillard tremblant de fièvre étendu sur le banc du poêle. Nul ne savait qui il était. Sa bourse était vide ; il n’avait pas d’argent pour payer le médecin et les soins qui lui étaient nécessaires. Il devait être jeté dehors je lendemain s’il ne mourait auparavant, le pauvre ! Seigneur, c’était un homme très vieux, brun et sec, avec une barbe blanche embroussaillée ; il me rappelait mon père. Seigneur, pardonne-moi, j’ai pris une perle dans ma ceinture et l’ai donnée à l’aubergiste, pour qu’il lui procurât un médecin et lui assurât les soins et, s’il mourait, une tombe en terre bénie. Le lendemain je repartis. Je poussai mon âne autant que possible afin de rejoindre les trois autres rois. Leurs dromadaires avançaient lentement, et j’avais l’espoir de les atteindre. Le chemin suivait une vallée déserte ou d’énormes rochers se dressaient épars entre les taillis de térébinthes et de genêts en fleurs d’or. Soudain, j’entendis des cris venant d’un fourré. Je sautai de ma monture et trouvai des soldats qui s’étaient emparés d’une jeune femme et s’apprêtaient a lui faire violence. Ils étaient trop nombreux, je ne pouvais songer à me battre avec eux. Oh seigneur, pardonne-moi encore cette fois ; je mis la main a ma ceinture, pris ma seconde perle et achetai sa délivrance. Elle me baisa les mains et s’enfuit dans les montagnes avec la rapidité d’un chevreuil. A présent il ne me restait plus qu’une perle, mais au moins je voulais te l’apporter, seigneur ! Il était plus de midi. Avant le soir je pouvais être a Bethleem à tes pieds. Alors je vis une petite ville à laquelle les soldats d’Hérode avaient mis le feu et qui brûlait. On ne pouvait presque pas distinguer les flammes dans l’éclatante lumière du soleil, mais on voyait l’air trembler comme il tremble dans le désert. Je m’approchai et trouvai des soldats exécutant les ordres d’Hérode et tuant tous les garçons de deux ans et au-dessous. Près d’une maison en feu, un grand soldat balançait un petit enfant nu qu’il tenait par une jambe. L’enfant criait et se débattait. Le soldat disait : «Maintenant, je le lâche, disait-il à la mère, et il va tomber dans le feu. Il fera un bon rôti de cochon ! » La mère poussa un cri perçant. Seigneur, pardonne-moi je pris ma dernière perle et la donnai au soldat, pour qu’il rendît l’enfant à sa mère. Il le lui rendit ; elle le saisit, le pressa contre elle, ne dit pas merci, mais s’enfuit, tel un chien qui a trouvé un os. Seigneur, c’est pourquoi me voilà les mains vides. Pardonne-moi, pardonne !
Le silence régna dans l’étable quand le roi eut achevé sa confession. Pendant un instant il resta le front appuyé contre le sol ; enfin il osa lever les yeux. Saint Joseph avait fini de retourner la paille et s’était approché. Marie regardait son fils qui était contre son sein. Dormait-il ? Non. L’Enfant-Jésus ne dormait pas. Lentement, il se tourna vers le roi de Perse. Son visage rayonnait ; Il étendit ses deux petites mains vers les mains vides. Et l’Enfant-Jésus sourit.
Joannes Joergensen
Pratique : lire le conte…